Définition de la matérialité projet dans le cadre du CIR
La matérialité projet est définie par l’ensemble des pièces justificatives montrant la réalisation d’un projet. Qu'elles soient administratives, comptables ou techniques, les pièces permettant de démontrer la tenue des différentes opérations de R&D&I sont devenues de plus en plus indispensables à la suite d’une déclaration de crédit impôt recherche.
Initialement, la justification et la sécurisation de la déclaration de CIR étaient faites à l’aide du dossier de CIR. Ce dossier est aujourd’hui toujours nécessaire mais il est insuffisant, malgré qu’il soit constitué de la synthèse technique des différentes opérations et des pièces justificatives des dépenses de R&D&I.
La définition de la R&D n’a pas réellement évolué depuis la création du dispositif crédit impôt recherche en 1983. Toutefois, la réforme du dispositif de 2008 a permis de faire monter en puissance la R&D au sein des entreprises. Cette démocratisation du CIR a entraîné une certaine professionnalisation des entreprises et des services vérificateurs. Par conséquent, même si cette démocratisation du crédit impôt recherche a pris du temps, depuis 2013 il a été constaté une augmentation des actualités autour du CIR. D’ailleurs, une nouvelle version du Manuel de Frascati a été introduite en octobre 2015 pour intégrer les nouveaux concepts de la R&D au sein des entreprises.
Que ce soit au niveau de l’administration fiscale et de sa doctrine administrative, ou au niveau du MESRI et de son guide CIR, un durcissement des exigences a été constaté. Ce durcissement s‘appuie notamment sur le paragraphe 2.19 du Manuel de Frascati qui indique :
La R&D est une activité structurée qui est exécutée de manière systématique. En l’occurrence, "systématique" signifie que les modalités de conduite de la R&D ont été planifiées et que son déroulement et ses résultats sont consignés.
Ce durcissement des exigences a eu pour conséquences d’exclure des entreprises du dispositif sur la base de la justification projet. Étonnamment, une entreprise éligible sur la base de la définition de la recherche, ne l’était plus sur la base de la définition du cadre projet.
D’ailleurs, certains nouveaux concepts du management projet se sont montrés totalement incompatibles avec une démarche de CIR. On peut notamment évoquer les méthodes agiles qui prônent une forme de dérégulation du suivi projet. On peut également ajouter à cela de fortes difficultés à mettre en place les formes de knowledge management et le manque de compétences de suivi projet au sein d’entreprises plus modestes.
Par conséquent, la mise en place d’une démarche CIR au sein d’une entreprise, doit débuter lors de l’émergence d’un projet d’innovation ou de R&D. Même si la qualification de R&D reste incertaine pour un projet à venir, l’entreprise doit tout mettre en œuvre pour offrir un environnement favorable à sa R&D.
La R&D étant considérée comme les joyaux de la couronne d’une entreprise, cette dernière doit démontrer à travers ses actions qu’elle a bien pris la mesure des sacrifices nécessaires à la réalisation du projet de R&D. Les moyens matériels et humains d’un tel projet étant généralement très importants, il n’est pas concevable qu’une entreprise ne prévoit pas les contraintes du projet de R&D dans sa stratégie. A titre d’exemple, une entreprise peut difficilement soutenir qu’une démarche de R&D a été réalisée dans un dossier de CIR, alors qu’elle n’en a pas fait mention dans son rapport annuel.
Le suivi du projet objet du crédit d'impôt recherche
En complément des différentes exigences de justification des dépenses de recherche et développement éligibles, l’entreprise doit mettre en place un suivi projet complet et spécifique à la réalisation du projet de R&D objet du credit d'impôt recherche. Elle pourrait par exemple compléter les justificatifs, à l’aide de la documentation ci-après.
Document de lancement du projet objet du CIR
Ce document, validé et signé par le comité exécutif de l’entreprise, matérialise la naissance du projet. Il doit introduire le projet en lui donnant une orientation et un objectif. Un budget et un calendrier prévisionnel peuvent être envisagés, tout comme une équipe projet. L’introduction de l’équipe projet pourra être l’occasion de mobiliser les compétences nécessaires à la réalisation du projet.
Comptes rendus des comités projets
Depuis sa création et tout au long de sa vie, le projet doit être suivi par un comité projet qui devra, au fil de l’eau, constituer une documentation de suivi. Ce comité projet existe déjà dans la plupart des cas, puisqu’il est là pour rendre compte de son avancement, des problématiques rencontrées et du suivi budgétaire. C’est d’ailleurs l’objet des comptes rendus qui constitue une preuve de l’implication des équipes. Les informations que l’on peut y retrouver ne sont pas nécessairement techniques.
Comptes rendus du suivi projet
Ces comptes rendus peuvent s’intégrer aux comptes rendus des comités projets, mais ils doivent permettre de retracer la vie technique du projet. Ces documents se trouvent donc à l’intersection entre le diagramme des étapes projet et les comptes rendus des essais projets. Les comptes rendus du suivi projet doivent mettre en avant les problématiques techniques rencontrées et les solutions envisagées.
Rapport annuel R&D et innovation pour soutenir le crédit d'impôt recherche
Tout comme le rapport d’activité de l’entreprise, le rapport annuel de R&D et innovation doit permettre de faire l’état des travaux et des budgets à une date précise. Ce rapport peut également permettre de retracer les orientations stratégiques du projet.
Cette liste, bien évidemment non exhaustive, vient compléter le recueil documentaire précédemment identifié, pour constituer dans son ensemble la matérialité du projet.
Dans le cadre de la déclaration de CIR, la matérialité projet permet d’évaluer ce que l’on peut appeler la "défendabilité" au dispositif du CIR. Cette "défendabilité" est relative à la justification de la déclaration lors d’un contrôle fiscal ou d’une demande d’information complémentaire.
Ainsi, l’entreprise ou son conseil doit réaliser une analyse de l’éligibilité et de la "défendabilité" projet. Ces deux notions lui permettront d’évaluer le risque juridique et fiscal lié à la déclaration de CIR.
Une entreprise peut ainsi être éligible au dispositif tout en n’étant pas défendable, ou les travaux peuvent être à la limite de l’éligibilité tout en étant défendables. La matérialité projet associée à la "défendabilité" permettra à l’entreprise d’arbitrer certaines positions litigieuses. Ceci peut être notamment le cas lorsqu’on revient aux contraintes de la valorisation des dépenses de sous-traitance. En l’espèce, si le contrat n’est pas suffisamment explicite mais que d’autres pièces, comme les comptes rendus du comité projet, permettent d’apporter la preuve de l’effectivité des opérations de R&D, alors la prestation pourra être intégrée à la valorisation tout en limitant le risque juridique et fiscal associé.
En définitive, il faut évaluer l’éligibilité et la "défendabilité" du projet par rapport à la définition d’un projet de R&D pour ensuite évaluer l’éligibilité et la "défendabilité" de chaque dépense de recherche. La vision d’ensemble permettra d’évaluer la robustesse de la déclaration et les différentes pistes d’optimisation.
Indicateurs d’éligibilité au crédit d'impôt recherche
Il peut également être intéressant de rapprocher certains indicateurs du montant des dépenses pour évaluer l’ampleur d’une déclaration et son risque associé. Ces indicateurs n’ont aucun fondement juridique et doivent être mis en œuvre que pour avoir une lecture différente d’une déclaration. Chaque entreprise présente une situation différente, il faut donc adapter l’indicateur à la situation. Parmi ces indicateurs, on peut par exemple évoquer les points ci-dessous.
Dépenses de recherche et chiffre d’affaires
Cet indicateur doit être nuancé par le stade de développement de l’entreprise. Une entreprise en amorçage réalisera un grand effort de recherche sans pour autant avoir un chiffre d’affaires élevé. Cependant, cet indicateur doit mettre en relief l’effort d’investissement de la R&D au sein de la société. Il est très rare qu’une société avec un historique non négligeable, réalise une phase de R&D aussi importante que le volume du chiffre d’affaires. Cela voudrait potentiellement dire que la société a fait le choix de consommer des fonds propres pour activer la R&D. Ce n’est bien entendu pas exclu, mais il faut être prêt à l’expliquer.
CIR et résultat net de l’exercice
Sans entrer dans les détails comptables et fiscaux du remboursement anticipé du CIR, le crédit d’impôt est directement imputé sur le résultat fiscal de l’exercice. Ainsi, une société avec un très fort résultat et un CIR très faible s’exposera moins qu’une société avec résultat nul ou faible et un CIR très élevé. Il est bien évident qu’une demande de remboursement du crédit d’impôt n’est pas sans incidence sur la relation entre l'entreprise et l'administration fiscale.
Dépenses de personnel R&D et charges de personnel inscrites dans le compte 64
Cet indicateur peut aussi simplement s’obtenir à l’aide du suivi des temps en étudiant le rapport entre le temps valorisé au CIR et le temps de l’ensemble des activités du personnel. Plus les dépenses de personnel de R&D sont proches des charges de personnel, plus l’on se rapproche d’un centre de recherche. Ainsi, si une entreprise se trouve dans ce cas, sans pour autant avoir de département de recherche, ou a minima un bureau d’études conséquent, cela doit lever une alerte. Ce degré de valorisation donne donc des indications sur l’importance de la R&D au sein du personnel de l’entreprise.
Variation des dépenses de R&D entre l’année N et l’année N-1
D’importantes variations dans les dépenses de R&D sont synonymes d’une modification stratégique ou le lancement d’un nouveau cycle de recherche. Le contexte R&D doit donc bien correspondre à ces variations.
Finalement, tout l’objet de la matérialité projet est d’adapter la justification des dépenses en fonction de la déclaration. Le volume des pièces justificatives doit être en cohérence avec la déclaration de CIR. Cette juste matérialité pose un contexte serein lors d’une vérification de comptabilité et permet aux organismes vérificateurs de retrouver un faisceau d’indices suffisant.